Nativité

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vendredi 17 juin 2016

Vers la réconciliation (et le schisme aussi) au sein de l'Eglise Orthodoxe

Le concile de l’Eglise Orthodoxe qui s’ouvre le 17 juin 2016 à l’Académie orthodoxe de Chania en Crète va tenter de résoudre les discordes qui paralysent cette Eglise depuis au moins un siècle. Mais ce faisant il risque de précipiter un schisme, couvant depuis de longues années, entre les Eglises Orthodoxes reconnaissant une primauté d’honneur au patriarcat de Constantinople et celles privilégiant le patriarcat de Moscou. Derrière cette querelle sur le leadership se profile aussi une opposition croissante entre les courants zélotes, voire néo-fondamentalistes,[1] et les mouvements prosélytes ouverts à l’œcuménisme, mais aussi entre les tenants de la symphonie byzantine et les opposants à la confusion de l’Eglise et de l’Etat. Plus fondamentalement encore, ce schisme résultera de la lutte entre les tenants d’un retour à la civilisation soviétique, « fondée sur les bases morales du christianisme »[2] selon le patriarche Kirill, et ceux qui s’opposent aux visées expansionnistes de la Russie et considèrent le régime soviétique comme totalitaire et anti-chrétien.[3]

En effet, au 17 juin 2016, 4 Eglises autocéphales (Eglise de Bulgarie, Eglise de Géorgie, patriarcat d’Antioche, Eglise de Russie) sur 14 ont fait part de leur refus de participer au concile. Ceci alors que toutes les 14 Eglises sans exception avaient accepté le communiqué de la conférence de Chambésy du 28 janvier 2016 annonçant la tenue du concile pour la fête orthodoxe de la Pentecôte le 19 juin 2016.[4] Face à la contestation de son leadership à 15 jours de l’événement le patriarcat œcuménique a maintenu la tenue du « saint et grand concile » et a déclaré que ses décisions seront légitimes pour toute l’Eglise Orthodoxe. Le patriarcat de Moscou a fait savoir pour sa part qu’il ne pourra accepter ses décisions.

On avait averti en février dernier des difficultés dans la préparation du concile, des lacunes du consensus pré-conciliaire et des risques que comportaient les décisions prises à Chambésy notamment en matière de règlement.[5] Mais on avait aussi souligné l’importance d’un tel concile qui, malgré ce qu’en disent certains observateurs, n’est pas une nouveauté puisque, au moins jusqu’au XVIIe siècle, les Eglises Orthodoxes sont parvenues à se réunir au-delà de leurs affinités nationales. Le débat qui a suivi au sein du monde orthodoxe a poussé les Eglises à clarifier leurs positions. Mais le non-dit au sujet de la guerre russo-ukrainienne et à propos de la revendication d’autocéphalie de la deuxième Eglise Orthodoxe dans le monde, l’Eglise ukrainienne, ont eu raison du processus pré-conciliaire (L'Eglise Orthodoxe en Ukraine compte 25 millions de fidèles, répartis en 3 Eglises Orthodoxes différentes, ce qui fait de l'Ukraine la deuxième nation chrétienne orthodoxe dans le monde après la Russie (58 millions de fidèles) (https://en.wikipedia.org/wiki/Orthodoxy_by_country).

En effet après la publication en février de certaines déclarations du patriarcat de Moscou affirmant à tort qu’un « accord a été trouvé sur le fait que l’Ukraine relève du territoire canonique du patriarcat de Moscou », le père John Chryssavgis, un haut responsable du patriarcat œcuménique, a clairement démenti ces propos le 2 mars. Il précisa que le patriarche Bartholomée n’avait pas renoncé à « son droit canonique et historique à répondre aux appels et aux besoins des chrétiens en Ukraine comme Eglise fille de Constantinople ». [6] Pour le diacre André Kouraiev, l’un des théologiens les plus réputés de l’Eglise russe, il ne fait pas de doute que cette décision a conduit le patriarcat de Moscou à revenir sur sa décision de janvier de participer au concile.[7] En pleine guerre russo-ukrainienne ni le Kremlin ni l’Eglise russe ne peuvent se permettre de perdre leurs fidèles en Ukraine. Or ceci arriverait très certainement si Constantinople reconnaissait le patriarcat de Kiev, une Eglise orthodoxe créée en 1991 qui, malgré le fait qu’elle compte le plus grand nombre de fidèles, n’est toujours pas reconnue par aucune Eglise Orthodoxe. En effet un nombre croissant de membres de l’autre Eglise Orthodoxe ukrainienne, celle relevant de Moscou, se sentent de plus en plus mal à l’aise au sein du patriarcat de Moscou et souhaitent vivement rejoindre une Eglise ukrainienne indépendante et reconnue dans le monde.

Un autre blogueur populaire en Russie, Alexandre Soldatov, affirme pour sa part que les décisions des Eglises bulgare, antiochienne et géorgienne ont été provoquées par Moscou qui a soufflé sur les braises du fondamentalisme orthodoxe.[8] Il affirme en particulier que la décision de l’Eglise bulgare le 1er juin de ne pas se rendre en Crète fait suite à la canonisation le 28 mai à Sofia, en association avec le patriarcat de Moscou, de Mgr Serafim Sobolev, un évêque anti-œcuménique et ultra-conservateur. La visite au Mont Athos fin mai du patriarche Kirill avec Vladimir Poutine a eu exactement le même effet puisque, quelques jours plus tard, les moines de cette presqu’île, très influents en Grèce, ont rejeté vigoureusement les textes préconciliaires. A son retour le patriarche Kirill convoqua un synode le 3 juin pour exiger de Constantinople la mission impossible de tenir une nouvelle rencontre pré-conciliaire avant le 10 juin. L’Eglise d’Antioche, proche historiquement de l’Eglise russe, a saisi cette occasion pour annoncer le 6 juin sa décision de ne pas se rendre en Crète. Damas pouvait dans ce contexte faire accepter plus facilement la priorité de ses revendications sur le Qatar (territoire qu’elle dispute à l’Eglise de Jérusalem) sur les 6 questions à l’ordre du jour du concile. Enfin le refus de participer de l’Eglise de Géorgie, traditionnellement hostile à l’œcuménisme et frustrée que son rang dans la hiérarchie des Eglises ne soit pas mis à l’ordre du jour du concile, a été annoncé par l’agence Tass.

Il ne restait plus, le 13 juin, au patriarche Kirill qu'à porter l’estocade finale en affirmant que l’Eglise russe ne pourrait se rendre à ce concile « compte tenu de l’absence de 4 Eglises Orthodoxes » et de « l’absence de consensus initial à Chambésy ». Les représentants du patriarcat oecuménique ont fait part de leur profonde déception en rappelant qu'à Chambésy toutes les Eglises avaient donné leur accord pour la tenue du concile en juin et en soulignant qu'ils avaient tout fait pour faciliter la participation de toutes les Eglises au concile, en acceptant même de déplacer le concile de Turquie en Grèce à la demande de l'Eglise russe... Mais le même jour le père Vsévolode Tchapline (démis de ses fonctions depuis décembre 2015 pour avoir appelé à la guerre sainte en Syrie[9]), le plus proche adjoint pendant 5 ans du patriarche Kirill, a non seulement approuvé cette décision de l'Eglise russe mais l’a rapprochée des événements apocalyptiques puisque 666, le chiffre de la Bête, se trouve selon lui inscrit dans l’agenda du concile :

« Maintenant que le ‘concile bartholoméen’ va avoir lieu en l’absence de 5 Eglises représentant la majorité absolue du monde orthodoxe, il est fondé de le considérer comme non légitime et de juger à tout prix les fanatiques principaux l’ayant organisé. Si à travers eux passe le document avec l’acceptation de l’œcuménisme et la participation [de l’Eglise Orthodoxe] au COE [Conseil Œcuménique des Eglises] il est tout à fait possible de le considérer comme un brigandage. Tout ce qui se passe est normal. C’est le temps de la vérité qui est arrivé. Il n’y a pas de bénédiction divine sur le concile 16-06-06 ».[10]

Entraînés contre leur gré dans cette crise, les amis œcuméniques de l’Eglise Orthodoxe vont devoir à leur tour faire un choix. Ou bien ils choisiront de privilégier ce qui reste d’unité et d’ouverture au mouvement œcuménique au sein de cette Eglise, et devront alors soutenir fermement le processus conciliaire conduit par le patriarche Bartholomée en vue de soigner les nombreuses blessures de ces Eglises restées fidèles (comme l’a annoncé le Saint Siège en confirmant l’envoi en Crète d’une délégation présidée par le cardinal Koch). Ou bien ils décideront de privilégier la puissante Eglise russe afin de maintenir un dialogue avec cette Eglise, en l’aidant en particulier à sortir de son ornière néo-fondamentaliste. Il conviendra cependant de ne pas sur-exagérer son importance puisque celle-ci, malgré son poids, ne représente qu’un tiers des fidèles orthodoxes (soit 58 millions de fidèles en Russie auxquels on peut ajouter 12 millions de fidèles en Ukraine et 4 millions de fidèles en Bélarus, encore 1 million à l'étranger, soit 75 millions au total sur 274 millions de fidèles orthodoxes dans le monde en comptant les Eglises orthodoxes orientales) et souffre d’une réputation très dégradée en Russie même comme l’attestent les chiffres de participation aux offices.[11] Dans les deux cas il faudra se souvenir que le rapprochement entre les chrétiens n’est possible, selon l’évangile, que dans l’amour et la vérité.




[3] Le patriarche Kirill s’est opposé à la thèse selon laquelle la Russie a agressé l’Ukraine et a affirmé en mars 2016 que le pape était d’accord avec lui sur ce point. http://www.religion.in.ua/news/vazhlivo/32287-patriarx-kirill-vpervye-pryamo-otricaet-vneshnyuyu-agressiyu-protiv-ukrainy-i-utverzhdaet-chto-tak-zhe-schitaet-papa-francisk.html