Sur l’annonce de la tenue à la Pentecôte 2016 à
Constantinople du concile pan-orthodoxe, j’ai une réaction partagée.
Car d’un côté je suis de ceux qui considèrent depuis
longtemps que le travail de conciliarité inter-orthodoxe est indispensable et
urgent. Les Eglises Orthodoxes ont vécu trop longtemps dans des mondes clos.
Dans le livre que j’ai publié en 2011 « En attendant le concile de
l’Eglise Orthodoxe » j’expliquais que le pourrissement des crises au sein
du monde orthodoxe (conflit entre Moscou et Constantinople sur le
leadership ; montée un peu partout des courants anti-œcuméniques et
fondamentalistes ; schisme de l’Eglise orthodoxe ukrainienne et du
patriarcat de Kiev, etc…) était toujours lié à l’absence d’une gouvernance
inter-orthodoxe efficace.
Mais je suis très sceptique sur le choix qui a été avalisé à
Constantinople de ne prendre des décisions que sur la règle de l’unanimité
(chaque Eglise disposant d’un droit de veto). Lorsque nous avons organisé un
colloque en 2012 à l’Institut saint Serge et au Collège des Bernardins sur le
sujet du futur concile pan orthodoxe (cf revue Contacts n°243) nous avions constaté que la plupart des décisions
pré-conciliaires qui ont été elles aussi prises à l’unanimité ont abouti à des
non-choix (sur la célébration unifiée de la date de Pâques par exemple) alors
que l’orthodoxie a besoin d’une profonde purification aujourd’hui. Dans la déclaration
du Phanar on utilise aussi le terme de « consensus ». Mais je ne suis
vraiment pas certain que les hiérarques orthodoxes ont une connaissance bien
précise de ce que nous entendons en Occident par « technique du consensus ».
En revanche comme le montre le conflit entre le patriarcat d’Antioche et le
patriarcat de Jérusalem au sujet de la présence orthodoxe au Quatar les Eglises
semblent vivre toujours au Moyen Age avec leur vision strictement territoriale
de l’ecclésialité.
De plus je constate que le choix a été fait de ne réunir que
des évêques pour représenter les Eglises locales. Ceci est typique d’une
mentalité cléricale et ce qui nous éloigne malheureusement du concile de
l’Eglise russe de 1917 qui avait su intégrer les laïcs. On ne pourra pas vraiment appeler du terme de "concile" une réunion d'évêques ayant verrouillé dans leur coin tous les sujets à l'avance.
Enfin je suis surpris que cette synaxe de Constantinople
n’ait fait aucune déclaration demandant au président Poutine de retirer ses
troupes de l’Ukraine. Il y a même une phrase dans la déclaration sur l'Ukraine extrêmement ambiguë qui pourrait laisser entendre que les agresseurs ne seraient pas les troupes russes. Une sorte de copié-collé de l'argumentaire que l'Eglise russe a déjà utilisé pour légitimer l'annexion par la Russie d'autres régions telles que l'Ossétie du Nord par exemple. Les deux peuples orthodoxes les plus nombreux de la
planète sont en situation de guerre et les hiérarques rassemblés ne prennent
aucune initiative autre qu'une sainte prière! Dans ces conditions les chances pour qu’un concile
panorthodoxe donne des fruits qui répondent aux vrais enjeux du monde
contemporain sont donc actuellement très faibles. Chacun sait pourtant que le
conflit inter-orthodoxe actuel portant sur l’octroi de l’autocéphalie (capacité
pour une Eglise locale à élire son propre chef) a des conséquences directes sur
la situation ukrainienne. Le patriarche Kirill de Moscou fait tout pour
empêcher l’Eglise orthodoxe ukrainienne de se réunifier. Alors que par une
simple décision les patriarches de Moscou et de Constantinople auraient pu
permettre au patriarcat de Kiev et à l’Eglise orthodoxe ukrainienne de
s’organiser en une seule Eglise autocéphale.