Nativité

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samedi 11 mai 2019

Lettre de chrétiens orthodoxes du 11 mai 2019 sur la situation de l'Eglise orthodoxe

Lettre à nos frères et sœurs de l’Eglise orthodoxe
Samedi 11 mai 2019

Chers frères et sœurs,
Le Christ est ressuscité !
La tradition chrétienne orthodoxe considère qu’entre les fêtes de Pâques et de Pentecôte les cieux sont ouverts. Ceci signifie que si nous avions les yeux de la foi nous pourrions voir émerveillés les anges du ciel monter et descendre l’échelle qui unit Dieu aux hommes.
En ce moment si joyeux de notre vie ecclésiale, il nous faut cependant reconnaître avec humilité que l’Église orthodoxe traverse une période de crise. Les Églises de Moscou et de Constantinople ont rompu le dialogue. Cette rupture est aggravée par la rupture de communion tristement connue. Celle-ci est ressentie comme un véritable drame par le peuple orthodoxe qui n’a aucune envie que l’Église orthodoxe sombre dans un schisme. A cela s’ajoute la crise de l’archevêché des Églises de tradition russe en Europe occidentale depuis la suppression de son statut d’exarchat en novembre 2018. Celui-ci est désormais partagé entre ceux qui considèrent qu’ils n’ont d’avenir qu’au sein du  patriarcat de Moscou et ceux qui estiment qu’un nouveau modus vivendi peut encore être trouvé avec le Patriarcat de Constantinople.
Mais puisque tout est possible aux yeux de la foi en cette période si particulière de l’année, permettez-nous de formuler trois prières.

Premièrement, évitons toute précipitation pour décider du devenir de l’archevêché des Églises de tradition russe en Europe occidentale. Agissons plutôt avec confiance et goût pour la vérité. C’est parce que le Christ est ressuscité en vérité qu’Il a pu envoyer l’Esprit Saint à ses disciples.
Ceci signifie en premier lieu que chacun, sous l’action de cet Esprit, admette, en vérité, sa part de responsabilité dans la crise que traverse l’Eglise orthodoxe non seulement en Europe occidentale mais aussi dans le monde. Ce n’est pas le lieu ici d’étaler toutes les médisances, tous les jeux de pouvoir, toutes les faiblesses des fidèles et de leurs pasteurs. A chacun de parcourir son cheminement intérieur de repentir et de purification.
Pourtant, si « le pardon a jailli du tombeau », devons-nous rester prisonniers de nos fautes ? Le chrétien n’est-il pas appelé à pallier les faiblesses d’autrui et à pardonner ? Et surtout, avons-nous une vision si étriquée du plan de Dieu sur l’Église pour considérer qu’il n’existe qu’une seule option viable pour l’organisation des communautés ecclésiales dispersées dans une région donnée ? Au regard de la situation de l’archevêché des Églises de tradition russe en Europe occidentale à la fin des années 1960, on peut bien comprendre que l’émiettement dans d’autres juridictions ou le transfert en bloc dans le Patriarcat de Moscou sont loin d’être les deux seules perspectives pour ces paroisses. Surtout si l’on se souvient que les plus grandes figures du renouveau de l’Église orthodoxe depuis cent ans y ont œuvré, à commencer par ses saints, du prêtre Alexis Medvedkov à la religieuse mère Marie Skobtsov.

Notre deuxième prière concerne les évêques présents en Europe occidentale.  Que proposent nos évêques à ceux qui sont nés ou qui ont grandi en Europe occidentale ? Quelles perspectives envisagent-ils pour l’implantation de l’Orthodoxie dans la société et la culture européenne? Comment surmonter la rupture de communion qui déchire nos communautés et nos familles ?
Nous souhaitons que soient organisées dès cette année, en Europe occidentale, des discussions collectives sur l’avenir de l’Église orthodoxe et que celles-ci s’accomplissent dans un esprit de paix, d’écoute mutuelle, de charité, de vérité et de liberté.
Il nous faut prendre conscience collectivement qu’il n’y a pas eu encore de travail d’explication et de réception  des décisions du concile panorthodoxe de Kolymbari de 2016, un concile pourtant capital qui a fait l’objet de préparations minutieuses depuis au moins 50 ans. Les chrétiens orthodoxes qui, de par le monde, vivent hors des territoires canoniquement organisés doivent, en premier lieu, recevoir les décisions de ce concile.
Celui-ci en particulier a invité les paroisses orthodoxes en Europe occidentale à se rassembler par le biais d’assemblées régionales d’évêques sous la présidence du patriarcat œcuménique et avec la participation de l’ensemble des communautés, prêtres et laïcs, des différentes juridictions. Cette invitation doit être mise en œuvre en tenant compte des spécificités locales des Églises en formation. Les Eglises dites « mères » doivent comprendre en particulier que, comme l’a déclaré le 9 décembre 2004 le Conseil de l’archevêché, la majorité des chrétiens orthodoxes présents depuis plus d’un siècle en Europe occidentale ne se considèrent plus depuis bien longtemps comme en situation de ‘diaspora’. Pour parvenir à une compréhension mutuelle, il faudra, bien entendu, de la patience, du discernement et de la confiance.

Notre troisième prière est que l’ensemble des chrétiens orthodoxes des Églises membres des assemblées épiscopales en Europe occidentale co-organisent dès que possible, avec le soutien de toutes les forces vives engagées, dans un esprit de renouveau, au service d’une Orthodoxie universelle, à commencer par la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale, l’ACER-MJO, l’Institut Saint-Serge, Syndesmos, ces forums de discussion inter-juridictionnels sur « le passé et l’avenir de l’Église orthodoxe en Europe de l’Ouest ».  
Malgré le risque de se révéler laborieuses et tendues, ces discussions sont pourtant indispensables.
Le temps est venu, par exemple, pour les chrétiens du patriarcat de Moscou d’expliquer à leurs frères et sœurs orthodoxes pourquoi leur Eglise est à ce point solidaire de l’Etat et de ses décisions, même anti-chrétiennes. Les responsables du patriarcat de Constantinople pourraient également revenir sur leurs difficultés à gérer efficacement la vie ecclésiale panorthodoxe dans le monde. Nous sommes pour notre part convaincus que l’actuelle Eglise orthodoxe en Europe occidentale, malgré ses limites, est en mesure d’organiser de tels débats.
Une approche strictement verticale n’apporterait, en effet rien d’autre qu’un peu plus de désordre et de division. Dans ce sens, il faut reconnaître, le caractère visionnaire des décisions du concile de Moscou de 1917-1918 qui revalorise la complémentarité et la co-responsabilité des laïcs, hommes et femmes, du clergé et des hiérarques. Nier cet héritage serait non seulement nocif mais illusoire.
Il est également urgent de redécouvrir la dimension sacramentelle de la vie en Église. Selon une telle ecclésiologie, largement développée par les plus éminents théologiens du 20e siècle, l’Eucharistie fait l’Eglise et simultanément l’Eglise manifeste en ce monde le commun Royaume. En rassemblant dans l’unité « les enfants de Dieu dispersés de par le monde », l’offrande eucharistique ne donne-t-elle pas à ceux qui y communient la possibilité de s’unir entre eux et de s’enrichir mutuellement de leurs diversités spirituelles, nationales, historiques et culturelles ?
Enfin toute communauté rassemblée en un territoire par l’Eucharistie ne peut se dissocier de l’histoire des hommes. Il faut donc assurer un lien entre les Églises d’origine et les fidèles orthodoxes qui s’installent ou séjournent en Occident ; ouvrir les yeux sur ce que partagent les orthodoxes avec les autres Églises chrétiennes ; et, avant de condamner grossièrement et sans appel, déceler les potentiels de sainteté dans les éléments du monde qui attendent encore la lumière divine.
Si les Eglises dites « mères » s’opposaient à un tel mouvement de réflexion et de discernement collectifs, elles risqueraient de se scléroser et de se confronter aux calamités décrites dans les premiers chapitres de l’Apocalypse.
Voici ce que disait le Vivant à l’ange de l’Eglise de Laodicée (Ap, 3, 16-19) : « Tu t’imagines : me voilà riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien : mais tu ne le vois donc pas : c’est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! Aussi, suis donc mon conseil : achète chez moi de l’or purifié au feu pour t’enrichir ; des habits blancs pour t’en revêtir et cacher la honte de ta nudité ; un collyre enfin pour t’en oindre les yeux et recouvrer la vue. » 
Mais comme l’a rappelé Nicolas Berdiaev il ne faut pas comprendre de façon fataliste les visions de l’apôtre Jean. Bien au contraire, les chrétiens orthodoxes, conscients des risques de la tiédeur spirituelle, doivent entreprendre ce travail de vérité et de réconciliation au nom de leur mission commune d’aller baptiser toutes les nations avec la force de l’Esprit Saint.
Cet Esprit de vérité que nous allons implorer et recevoir à la Pentecôte.

Premiers signataires:
Antoine Arjakovsky,
Sophie Clément-Stavrou,
Alexandra de Moffarts,
Georges El Hage,
Jean-Jacques Laham,
Daniel Lossky,
Olga Lossky-Laham,
Jean-Claude Polet,
Noël Ruffieux,
Cyrille Sollogoub,
Michel Stavrou,
Bertrand Vergely,
André Veriter.



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