Traduction de la Tribune parue le 1er janvier 2015
sur le site émigré russe grani.ru:
et repris par le site Radio Svoboda
Poussés par
notre conscience nous prenons la plume aujourd’hui pour répondre à la récente
lettre signée par certains descendants de la première émigration russe et
publiée sur le site de l’organisation « Russkij most », un outil de
propagande auprès des « concitoyens (russes) de l’étranger ». Ces
derniers se prononcent dans l’actuel conflit russo-ukrainien en faveur de la
ligne suivie par Vladimir Poutine et contre le gouvernement ukrainien. Nous ne
goûtons guère à la polémique et nous souffrons pour ceux de nos proches et de
nos amis qui font aujourd’hui le choix de soutenir la politique aventuriste du
Kremlin. Mais nous ne pouvons pas accepter que l’héritage de l’émigration russe
dont nous sommes nous aussi les dépositaires soit ainsi manipulé par la propagande
des dirigeants actuels de la Fédération de Russie.
Les services de la propagande du
Kremlin ont toujours joué, à l’époque du KGB comme aujourd’hui, sur la fibre
patriotique de l’émigration russe. Bien entendu, la majorité des descendants de
l’émigration russe, toutes générations confondues, est attachée à la Russie, à
la culture russe et, pour la plupart, à la foi chrétienne orthodoxe. Mais
l’intelligentsia russe, de Berdiaev à Boukovski, a toujours su distinguer entre
« l’idée russe », faite de goût pour la liberté et pour la vérité, et
la politique nationaliste du Kremlin, qu’elle soit pro-communiste ou
pro-eurasienne. Les associations d’émigrés, les médias et les mouvements de
jeunesse, défendent à Paris, Londres ou New York, la Russie de Pouchkine et de
Sakharov, non celle de Douguine et de Ziouganov. Il n’y a en effet ni de parti
pro-eurasien ni de parti pro-communiste dans l’émigration russe. Les paroisses
de l’émigration russe sont, dans leur grande
majorité, en France dans l’obédience du patriarcat de Constantinople, aux
Etats-Unis dans une Eglise autocéphale indépendante, et non sous la juridiction
du patriarcat de Moscou. Car elles ont rejeté depuis longtemps l’hérésie
phylétiste qui consiste à privilégier le « monde russe » à la communauté
des baptisés.
Ceux qui se présentent dans leur
lettre comme les héritiers de l’émigration russe et qui cautionnent aujourd’hui
la politique de Vladimir Poutine ont comme principal argument le fait que le
gouvernement ukrainien mène une opération militaire dans le Donbass. Ils savent
pourtant que la Russie est l’agresseur puisque les hommes armés qui ont annexé
la Crimée et qui déstabilisent aujourd’hui le Donbass sont des Russes. Ils
savent que le gouvernement ukrainien actuel mène une opération défensive, anti-terroriste,
et qu’à la différence du gouvernement précédent il met en place une politique
de décentralisation. Ils savent également que les Criméens ne sont pas des
Russes mais des russophones qui regrettent amèrement aujourd’hui l’annexion
russe comme le montre leur refus de rendre leur passeport ukrainien. Ils savent
aussi que les habitants du Donbass souhaitent pour les trois-quarts d’entre eux
faire partie de l’Ukraine comme l’attestent tous les sondages. Ils ont lu dans
la presse ou les réseaux sociaux que la Russie a été condamnée pour son
attitude en Ukraine par une écrasante majorité des pays du monde à l’Assemblée
Générale des Nations Unies et qu’elle a été interdite de vote par l’Assemblée
Parlementaire du Conseil de l’Europe. Ils ont entendu à la radio ou à la
télévision que le président Porochenko a proposé à plusieurs reprises des
cessez-le-feu et des plans de paix qui n’ont jamais été respectés par les
séparatistes ukrainiens associés aux mercenaires du Kremlin.
Mais tous ces arguments sont
balayés d’un revers de main par ces émigrés russes (devenus d’ailleurs depuis
longtemps citoyens européens pour la plupart des signataires) au nom d’un
profond désir de reconnaissance de la « mère patrie ». Il y a aussi
chez eux une perte de confiance dans les démocraties occidentales, ce qui les rapproche de plus en plus des partis
politiques extrémistes et populistes (qui restent cependant eux aussi encore
minoritaires dans le paysage politique européen). Il y a enfin un manque
presque complet de connaissance de la culture ukrainienne et de son identité
propre, spécifique, car bilingue, bi-culturelle
et œcuménique.
Nous tentons malgré tout de
dialoguer, quand c’est encore possible, avec eux. Nous leur expliquons que les
oligarques russes eux-mêmes ont plus confiance dans les démocraties
occidentales que dans le régime autoritaire de la Russie actuelle puisqu’ils
font le choix de vivre en Europe ou aux Etats-Unis ou d’y envoyer leurs enfants
faire leurs études. Nous leur rappelons la terrible désillusion qu’ont connue par
le passé ceux qui, aveuglés par leur nationalisme, défendirent la Russie
stalinienne au point de vouloir rentrer en URSS et qui finirent par périr une
balle dans la nuque. Nous leur lisons les paroles d’Alexandre Soljenitsyne,
demandant de « ne pas vivre dans le
mensonge » et de se débarrasser du mythe assassin du « rassemblement
des terres russes ». Nous les enjoignons de lire Georges Fedotov, cet historien
de l’émigration russe, qui enseigna à la fois à l’Institut Saint-Serge, à
Paris, et à l’Institut Saint-Vladimir, à
New-York, et qui, tout en étant un grand patriote russe, reconnut l’identité
très ancienne de la nation ukrainienne, cette autre héritière de la Rous’ de
Kiev (au même titre que la Russie moscovite). Nous leur disons que la vraie
Russie a toujours été grande quand elle fut respectueuse du droit et ouverte au monde, et que c’est avec elle qu’il faut se
solidariser ainsi qu’avec tous ceux et celles qui luttent aujourd’hui en Russie
pour la défense de la vérité, de la paix et de la dignité de tout homme.
Mais ils ne nous écoutent pas.
Fascinés qu’ils sont par la nouvelle puissance de la kleptocratie russe, par
les mensonges du président russe qui veut voir dans la Crimée une « terre
séculaire russe » (alors qu’elle n’a été intégrée à l’Empire des tsars
qu’à la fin du XVIIIe siècle) et identifie le prince de Kiev
Volodymyr à un souverain russe, ou par l’idée provinciale, orgueilleuse, de
« Moscou, 3e Rome »…
Dmitri Akhtyrsky, USA
Antoine Arjakovsky, France.
Andrei Bessmertny Anzimirov, USA
Anna Brodskaja-Bomke, Allemagne
Anna Bykhovskaia, Allemagne
Tamara Candala, France
Tamara Candala, France
Pauline Gruental, USA
Artemij Keidan, Italie
Inga Leonova, USA
Toma Shevliakova, USA