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samedi 15 décembre 2018

Comment sortir de la crise actuelle de l’Eglise Orthodoxe ?



Comment sortir de la crise actuelle de l’Eglise Orthodoxe ?

Antoine Arjakovsky

Paris, le 15 décembre 2018

Avant que les passions qui agitent actuellement les chrétiens orthodoxes ne s’embrasent, je souhaite par cet article exposer ma vision de l’évolution actuelle de l’Eglise Orthodoxe et donner mes propositions de sortie de crise. Il se trouve que j’ai étudié de près, dans plusieurs livres, l’histoire de l’Eglise Orthodoxe, ancienne et récente, en France et dans le monde, et que j’ai vécu longtemps en Ukraine et en Russie, deux pays aujourd’hui en conflit et se situant à l’épicentre de la crise actuelle. Du fait aussi de l’amitié que j’éprouve pour des chrétiens des différentes Eglises aujourd’hui en conflit, je crois de ma responsabilité de chrétien orthodoxe de partager mon opinion sans bien entendu prétendre à une quelconque exhaustivité.

1)      Prendre conscience de la crise de l’Eglise Orthodoxe

Pour commencer je crois que nous devons admettre que l’Eglise Orthodoxe prend conscience depuis quelques années qu’elle traverse une crise, qui est aussi un appel de l’Esprit. Il suffit pour s’en convaincre de mentionner les dizaines de sujet de désaccords mis à l’ordre du jour du concile panorthodoxe au début des années 1970. Les 14 Eglises Orthodoxes ont reconnu qu’elles avaient besoin d’une réforme. Aussi sont-elles entrées dans une période de dégel qui leur est et leur sera  extrêmement bénéfique. La tenue du concile panorthodoxe en 2016 en Crète, après un siècle de préparation, témoigne de ce dégel. La reconnaissance en particulier, par les pères du concile de Kolymbari, que les frontières de l’Eglise du Christ sont plus larges que celles de l’Eglise Orthodoxe, et qu’en conséquence le mouvement œcuménique est légitime, a été capitale. Mais la non-participation de 4 Eglises à ce concile a montré que les blessures et les défiances sont profondes. C’est la raison pour laquelle, conscients que l’Esprit souffle dans et sur les Eglises, nous ne devons pas forcément prendre des décisions irréfléchies en réagissant de façon trop émotionnelle vis-à-vis de la disparition de certains éléments du passé que nous avions pris l’habitude de considérer comme stables voire éternels.

Certes la décision du patriarche Kirill de Moscou le 15 octobre 2018 d’interdire à ses fidèles de communier aux liturgies célébrées par des représentants de Constantinople est consternante et témoigne d’une forme dépassée de cléricalisme. Certes aussi, la décision du 27 novembre 2018 de suppression de l’exarchat des paroisses russes en Europe occidentale par le patriarche Bartholomée de Constantinople faite sans la moindre concertation avec Mgr Jean de Charioupolis et encore moins avec les fidèles de cet archevêché a été brutale et irresponsable. Certes enfin, l’attitude souvent intransigeante du métropolite de Philarète de Kiev, à l’égard non seulement de Moscou mais aussi de Constantinople, donne l’impression déconcertante qu’il confond l’Eglise de Kiev avec sa propriété privée. Et cependant, je crois qu’il ne faut pas se focaliser sur ces attitudes trop humaines. Il convient d’une part de comprendre le sens des événements actuels et d’autre part de se projeter dans l’avenir et d’adopter, avec sagesse, des attitudes constructives.

Le signe le plus évident de la crise de l’Eglise Orthodoxe est que deux pays dont les citoyens se définissent à majorité comme chrétiens orthodoxes sont en guerre depuis quatre ans, une guerre violente ayant fait plus de 10 000 morts (seulement du côté ukrainien, on ne connaît pas les chiffres des soldats et des mercenaires russes tués au combat), des centaines de milliers de blessés, plusieurs millions de personnes déplacées. Même si en Occident nous jugeons bien lointaine la guerre russo-ukrainienne, il nous faut tout de même reconnaître que celle-ci dispose d’un volet religieux dont les Eglises Orthodoxes portent une part de responsabilité. Nous devons aussi admettre très lucidement que ce conflit menace aujourd’hui de se transformer en nouvelle guerre mondiale.

Je précise du reste que si j’utilise une majuscule pour qualifier les Eglises Orthodoxes c’est parce que celles-ci se qualifient elles-mêmes d’« orthodoxes » mais sans pour autant admettre qu’elles forment des réalités divino-humaines dans lesquelles la sainteté de la foi chrétienne orthodoxe est loin d’être toujours incarnée. Songeons au fait que le patriarcat de Moscou n’a pas condamné à une seule reprise l’annexion de la Crimée, qui fut pourtant une violation évidente du droit international, fondement de la paix dans le monde. Il n’a pas condamné non plus « l’armée orthodoxe du Donbass » malgré que ses combattants se réclament de l’Eglise russe. Du côté du patriarcat de Constantinople il n’y a pas eu non plus de condamnation de cette annexion en 2014 au moment où les faits se sont produits. On sait également que la constitution du patriarcat de Kiev n’a pas été un long fleuve tranquille.

2)      Admettre le bien-fondé de la formation d’une Eglise orthodoxe de Kiev autocéphale

La situation en Ukraine de schisme entre 3 Eglises Orthodoxes est l’une des causes de la non-reconnaissance par le Kremlin de l’identité ukrainienne. Cette situation, qui blesse douloureusement de très nombreuses familles, n’était pas tenable à long terme. L’Eglise Orthodoxe en Ukraine est forte de plus de 25 millions de fidèles, demande son autocéphalie depuis au moins un siècle, et constitue la principale Eglise orthodoxe en Europe si on additionne ses trois juridictions. Il faut être reconnaissant au patriarche Bartholomée d’avoir pris le taureau de la division par les cornes, malgré son grand âge. Il a agi avec sagesse en écoutant patiemment depuis 27 ans toutes les parties en conflit, les Eglises mais aussi les récents présidents de la République ukrainienne, et l’assemblée nationale ukrainienne qui a voté à deux reprises à une très large majorité en faveur de son intervention en 2016 et en 2018.

Il a rappelé aussi, en proposant un argumentaire très clair, la légitimité de son autorité pour tenter de soigner cette plaie ouverte au cœur de l’Europe. Le patriarche de Constantinople dispose d’une préséance dans l’Eglise, après le siège de Rome, depuis le 4e concile œcuménique, préséance qui a pris la forme de la responsabilité pétrinienne (droit de convoquer les conciles, droit d’appel, droit de reconnaître les statuts d’autocéphalie…) depuis le schisme avec l’Eglise romaine. Mgr Makarios de Christoupolis a parfaitement expliqué à Bruxelles le 4 décembre 2018 aux parlementaires européens que c’est bien le patriarcat œcuménique qui a accordé l’autocéphalie aux Eglises de Moscou (1589), de Grèce (1850), de Serbie (1879) de Roumanie (1885), de Pologne (1924), d’Albanie (1937), de Bulgarie (1945), de Géorgie (1990) des terres tchèques (1998). Qui plus est, l’Eglise de Constantinople est à l’origine de la fondation de l’Eglise de Kiev en 988 et l’a accompagnée jusqu’au XVIIe siècle. Malgré ce qu’en dit Mgr Kallistos Ware, elle n’a attribué à l’Eglise de Moscou en 1686 la possibilité de désigner à titre temporaire le métropolite de Kiev qu’à la condition que ce dernier reconnaisse le patriarche de Constantinople comme son primat. Du reste l’Eglise ukrainienne dans l’émigration a demandé sa reconnaissance à Constantinople et non à Moscou. C’est pourquoi elle fut intégrée en 1994 au sein du patriarcat œcuménique.

Après les trois Maïdan de 1991, 2004 et 2014 le patriarche Bartholomée a reconnu que la nation ukrainienne ne voulait plus de la division entre les chrétiens. Informé de ce que, depuis 1991, la totalité des évêques orthodoxes ukrainiens ont demandé un statut d’autocéphalie, et conscient également de la responsabilité des Eglises dans le maintien de cette division et dans le conflit russo-ukrainien, le patriarche Bartholomée a très sagement décidé de donner aux chrétiens orthodoxes ukrainiens la possibilité de former leur propre Eglise. Comme le révèlent les enquêtes d’opinion, la très grande majorité des chrétiens orthodoxes d’Ukraine est très reconnaissante aujourd’hui au patriarche Bartholomée de s’impliquer dans le processus d’attribution, en principe le 6 janvier 2019 à Istanbul, du statut d’autocéphalie à l’Eglise orthodoxe ukrainienne.  

En outre le gouvernement ukrainien a promis aux fidèles orthodoxes souhaitant rester au sein du patriarcat de Moscou qu’ils seront libres de le faire. Le seul changement consistera pour l’Eglise orthodoxe ukrainienne à prendre le titre d’exarchat du patriarcat de Moscou en Ukraine. Les évêques ayant participé au concile de réconciliation du 15 décembre ont de leur côté appelé leurs fidèles à refuser toute forme de violence au moment où les paroisses devront faire le choix de participer ou pas à cette Eglise de Kiev.


3)      Retrouver le chemin de l’humilité et le sens du service pour vaincre la double tentation du quiétisme et du cléricalisme

Il est clair que tous les chrétiens orthodoxes portent la responsabilité de la crise actuelle qui se traduit en particulier par un schisme entre Moscou et Constantinople et par une guerre entre Moscou et Kiev.

J’ai écris ailleurs que la majorité des fidèles a perdu depuis longtemps le sens de la foi orthodoxe comme synthèse entre 4 postures existentielles fondamentales, 4 définitions de l’Eglise et 4 rapports à la vérité comme juste glorification, vérité droite, mémoire fidèle et connaissance de justice. Nombre de laïcs en sont venus à séparer la foi et la raison et à s’assoupir dans une forme de quiétisme liturgique, de pensée confessionnelle étroite pseudo-patristique et déconnectée des réalités du monde.

Mais les hiérarques des Eglises de Kiev, Moscou et Constantinople doivent également reconnaître humblement leurs craintes, leurs faiblesses et leurs limites si elles souhaitent incarner l’expression hiérarchique de la foi orthodoxe dans l’Eglise du Christ.

Il y a aujourd’hui, de la part d’une Eglise, le patriarcat de Kiev, qui a dû naviguer seule pendant 3 décennies, la crainte d’être à nouveau manipulée par son Eglise-mère. Il est bien vrai que dans le passé cette Eglise de Kiev a dû souffrir bien des abandons non seulement de Moscou mais aussi de Constantinople. C’est ici, me semble-t-il, que les chrétiens ukrainiens doivent faire preuve de discernement historique. Il est plus exigeant de vivre dans une position d’ouverture et de communion inter-ecclésiale que de vivre seul avec soi-même. Mais la mission de toute Eglise est de cheminer vers le Royaume de Dieu. Il faut aujourd’hui que le métropolite Philarète de Kiev accepte humblement d’être conduit par le patriarche de Constantinople sur le chemin de la reconnaissance inter-ecclésiale. Il doit en particulier accepter que les évêques ne peuvent gouverner (c’est-à-dire servir) qu’en étant accompagnés par des prêtres et des laïcs. Ceci permettra à l’Eglise de Kiev d’actualiser cette vérité de l’Eglise selon laquelle en Christ chaque baptisé est appelé à devenir roi, prêtre et prophète. Cette Eglise montrera alors aux autres Eglises Orthodoxes comment guérir des maladies de l’ethnophilétisme et du cléricalisme.

Cette décision du patriarche Bartholomée de s’impliquer dans les destinées de l’Eglise de Kiev a provoqué la colère du patriarcat de Moscou qui considérait que l’Ukraine faisait partie de son « territoire canonique ». Le patriarcat de Moscou a justifié sa prétention désormais ouverte à prendre le leadership de l’Eglise Orthodoxe par le fait qu’après le concile de Florence l’Eglise de Constantinople serait tombée dans le schisme, ce qui expliquerait son auto-fondation en 1448. En réalité cette vision de l’histoire est fausse. Car d’une part le concile de Florence a été adopté par la quasi-totalité des évêques orthodoxes et ne pouvait donc être considéré alors comme hérétique (l’Eglise de Constantinople ne l’a rejeté qu’en 1484 tandis que l’Eglise de Kiev lui est restée fidèle jusqu’au XVIIe siècle). On sait en revanche que le siège de Moscou était lui-même au XVe siècle sous domination musulmane. D’autre part la mythologie dont s’est nourrie l’Eglise russe à partir de sa fondation, à savoir d’être « la 3e Rome », l’unique héritère de l’empire chrétien, était fondée sur une théologie politique non chrétienne.

Cette Eglise de Moscou en est venue à contester le leadership de l’Eglise de Constantinople en s’appuyant sur une ecclésiologie ultra-autocéphaliste. Celle-ci s’appuie largement sur le pouvoir politique et refuse toute autorité ecclésiale extérieure à elle. Or, comme l’a très bien montré le professeur John Erickson, l’ecclésiologie orthodoxe est fondée sur la communion entre les Eglises, à l’image de la vie trinitaire, ce qui implique à la fois le principe de primauté, c’est-à-dire de réelle autorité personnelle, de vie synodale, et de participation de chaque baptisé. Les théologiens qui cherchent aujourd’hui à contester la position de protos du patriarche de Constantinople auprès des Eglises se définissant comme orthodoxes remettent en question à la fois l’histoire de l’Eglise Orthodoxe reconnue par les plus grands historiens, de Anton Kartachev à Jean Meyendorff, mais aussi l’autorité des conciles œcuméniques.

Il me semble que les hiérarques, les théologiens et tout simplement les laïcs orthodoxes russes devraient eux aussi faire aujourd’hui un travail de discernement. Il est dans l’intérêt de l’Eglise russe de proposer un chemin de renouveau, fidèle à la tradition vivante, pour l’Eglise Orthodoxe ainsi que pour la nation russe. Cette Eglise de Moscou en particulier doit s’affranchir de la mythologie de la 3e Rome et reconnaître qu’elle n’est pas l’unique héritière de la Rous’ de Kiev. Dans le cas contraire, comme l’a averti le dernier concile panorthodoxe à Kolymbari, elle pourrait être emportée par les courants les plus fondamentalistes qui confondent l’Eglise et l’Etat et qui propagent des idées impérialistes de plus en plus meurtrières. Soutenir la formation d’une Eglise autocéphale en Ukraine serait une chance d’établir un dialogue serein avec la nation ukrainienne. A terme cette Eglise du patriarcat de Moscou, dont on sait qu’elle ne rassemble aujourd’hui en Russie que 5% de citoyens russes à la liturgie dominicale, pourra se positionner comme une avocate de la paix russo-ukrainienne et pourra regagner de la sorte la confiance du peuple russe. J’ajoute que ce n’est pas en proposant de constituer une Eglise ethnique aux chrétiens orthodoxes vivant ailleurs dans le monde, même d’origine russe, qu’elle pourra préparer l’avenir de façon spirituelle. Chacun sait en effet qu’en Christ il n’y a ni juif ni grec.

Enfin il est irresponsable et profondément blessant que, le 27 novembre 2018, le patriarcat de Constantinople ait voulu mettre cet exarchat, et son exarque en premier lieu, devant le fait accompli de sa suppression. Ce n’est pas ainsi qu’on peut établir des relations de confiance entre les chrétiens dans l’Eglise du Christ. Certes le patriarche de Bartholomée assure ces chrétiens que leurs traditions spirituelles et liturgiques seront respectées. Certes également chacun peut comprendre qu’en période de schisme aigu le patriarche de Constantinople ait besoin d’une adhésion claire de la part des paroisses de cet exarchat, surtout après la défection récente de l’église de Florence. Mais le patriarcat de Constantinople semble ne pas mesurer que, en se réclamant du concile de l’Eglise russe de 1917, l’archevêché des paroisses russes en Europe occidentale a eu le temps de se constituer une conscience propre, originale, certes elle aussi imparfaite, et néanmoins ayant produit de beaux fruits dans l’histoire du XXe siècle. Supprimer cette tradition du concile de 1917 d’un trait de plume est naïf. Vouloir écraser cette conscience propre est une offense à l’Esprit.

4)      Les scénarios possibles de sortie de la crise ecclésiale en Europe occidentale

C’est pourquoi il me paraîtrait sage que chacun reconnaisse ses erreurs et qu’un double mouvement de réconciliation se produise:

D’une part il faudrait que le patriarche de Constantinople rétablisse rapidement Mgr Jean de Charioupolis comme archevêque, avec des compétences et un mode de fonctionnement pour l’archevêché garanties très précises, de telle façon à ce que ces paroisses puissent disposer de l’assurance de pouvoir vivre selon leurs traditions spécifiques. Il serait indispensable également que le patriarche Bartholomée fasse un geste d’amitié et de confiance à l’égard de Mgr Jean de Charioupolis et des fidèles de son archevêché qui ont été douloureusement affectés par sa décision trop précipitée.

D’autre part il serait bon que les membres de cet ancien exarchat acceptent de reconnaître que leur mission consiste à former une Eglise locale, post-ethnique, qui par définition, signifie une étroite collaboration avec le patriarcat œcuménique, ce qui, reconnaissons-le, ne s’est pas produit jusqu’à présent. Elle doit aussi se libérer de ses étroitesses liées à son statut de minorité et notamment sa lecture souvent triomphaliste de sa propre histoire. J’ajoute que le siège de Constantinople a accueilli pendant plusieurs décennies les paroisses russes de la diaspora, ce qui a évité à celle-ci non seulement le risque de la manipulation par le patriarcat de Moscou à l’époque du régime soviétique mais aussi les affres qu’ont connues les paroisses s’étant placées sous la juridiction de l’Eglise russe hors frontières. Il serait heureux de lui manifester en retour de la reconnaissance à un moment où il a besoin d’être lui aussi soutenu.

Dans le cas où Constantinople refusait de reconnaître sa précipitation, d’accorder ces garanties et d’adopter une vraie attitude pastorale, il resterait deux solutions à l’archevêché dissous. Soit entrer dans la voie de la formation autonome d’une Eglise locale, mais ce serait entrer dans un vide juridique ecclésial particulièrement périlleux compte tenu des faibles forces et des maigres capacités de cet archevêché. Soit s’éparpiller au sein des différentes Eglises canoniques existant en Europe occidentale (Moscou, Bucarest, Kiev, Antioche, etc..). Mais ici encore, rien ne garantirait que « l’esprit propre » à cet archevêché soit préservé durablement et enrichi. Il faudrait en tous cas qu’au minimum, dans ce dernier cas de figure, à court terme, un document puisse garantir la préservation de cet esprit particulier. Quoi qu’il en soit, si les paroisses russes en Europe occidentale sous le patriarcat de Constantinople ne faisaient pas preuve de discernement spirituel, ne cherchaient pas à dépasser leur tropisme national et n’acceptaient pas de vaincre leur mécontentement légitime à l’égard du cléricalisme, elles seraient tout simplement balayées par l’histoire.

Dans le cas symétrique où le patriarche œcuménique refusait de sortir du management clérical et n’acceptait pas de revenir sur la décision hasardeuse de son synode le 27 novembre 2018, Constantinople ne pourra que découvrir, mais trop tardivement, qu’il aura perdu le leadership sur les Eglises Orthodoxes hors de son territoire canonique (ce qui est déjà le cas pour Moscou, mais cette non-reconnaissance ne fera que s’élargir). La perte de la présidence des assemblées épiscopales qui s’étaient créées partout dans le monde à l’initiative en particulier de membres de l’exarchat de la rue Daru, pourrait s’avérer fatale à terme pour l’autorité de Constantinople dans le monde.

C’est pourquoi la tâche prioritaire aujourd’hui, à mon sens, pour trouver une issue à la crise qui soit acceptable par toutes les parties, est de définir ensemble rapidement, en 2019, avec les évêques, prêtres et laïcs membres de l’archevêché de la rue Daru, (avec aussi, si possible la participation des chrétiens orthodoxes des autres juridictions comme observateurs), cet esprit ou cette identité propre de l’Eglise orthodoxe de France (ce travail doit s’accomplir aussi en Belgique, en Grande Bretagne, en Allemagne, etc…), et de montrer sa compatibilité avec une gouvernance panorthodoxe globale renouvelée.

Cet esprit particulier de l’archevêché se trouve, à mon sens, en rapport avec les débats du concile de Moscou (qui a réhabilité non seulement le pouvoir du primat dans l’Eglise, mais qui a également rétabli l’election des évêques, le rôle actif des laïcs dans l’Eglise, l’engagement œcuménique, la créativité théologique, la réconciliation personnaliste et sapientielle entre la foi et la raison, la condamnation de la peine de mort, la séparation de l’Eglise et de l’Etat,…). Ces idées à la fois traditionnelles et nouvelles ont été mises en pratique progressivement grâce à des évêques et des théologiens éclairés, de Mgr Euloge (Giorguievsky) à Mgr Jean (Renneteau), et du père Serge Boulgakov à Olivier Clément, et a donné de nombreux signes de sainteté reconnus de façon universelle. Cet archevêché devenu exarchat, a contribué en effet avec l’ACER, l’Institut saint Serge, l’Action orthodoxe, Syndesmos, la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale, etc… à inventer une nouvelle théologie créatrice, personnaliste, sophiologique et trinitaire (même s’il est vrai que, pour différentes raisons sur lesquelles il faudra revenir, notamment une vision mythifiée et anti-œcuménique du passé, cette tradition vivante s’est perdue dans les sables avec le temps…), et à penser une nouvelle ecclésiologie post-ethnique ainsi qu’un avenir œcuménique à l’Eglise orthodoxe de France.

Car cette Eglise locale de France en voie de formation dispose comme originalité (cette observation s’applique à la plupart des pays du monde hors des Eglises mères orientales) de se trouver sur le territoire canonique de l’Eglise catholique (ce qui a toujours été reconnu par les Eglises Orthodoxes). Elle pourrait à terme, une fois que chacun aura admis que les divisions du passé ont été comprises et dépassées par les meilleurs théologiens catholiques et orthodoxes, disposer de suffisament d’autonomie pour être en mesure de proposer un mode particulier de vie ecclésiale en double communion : et avec Rome et avec Constantinople, comme ce fut le cas pour les chrétiens de Gaule au premier millénaire.

Elle pourrait alors retrouver une communion fraternelle avec les Eglises grecques catholiques ou melchites, et avec certaines Eglises orientales dites non chalcédoniennes, ayant elles aussi, souffert dans le passé des divisions entre leurs Eglises mères. Celles-ci, dans la plupart des cas, cherchent aujourd’hui à retrouver l’unité fondamentale de l’Eglise du Christ tout en rejetant fermement toute forme de prosélytisme malveillant. Leur réflexion, notamment en matière de droit canon, et leur pratique, en particulier dans leur dialogue permanent avec l’Eglise romaine, pourraient s’avérer particulièrement bénéfique à l’ensemble des Eglises orthodoxes se définissant comme chalcédoniennes.

Conclusion

Il me semble que, malgré toutes les blessures de chaque Eglise et malgré toutes les peines de chaque chrétien orthodoxe dans cette période de bouleversements, il est nécessaire en premier lieu de soutenir le patriarcat de Constantinople dans sa volonté de rétablir non seulement un organe de coordination panorthodoxe mais aussi son autorité propre. On l’a compris, il s’agit d’un soutien conditionnel, arrimé à la capacité de l’apôtre André à répondre à l’appel du Christ de le suivre. Tout en prenant des décisions audacieuses qui relèvent de sa seule responsabilité, le patriarche de Constantinople doit mettre en œuvre la règle du 34e concile des apôtres : « Les évêques de chaque nation doivent connaître celui qui, parmi eux, est le premier, et le considérer comme leur tête, et ne rien faire d’exceptionnel sans son avis. Chacun d’eux ne doit faire que ce qui s’impose à son diocèse et aux territoires dépendants de lui. Mais que le premier, non plus, ne fasse rien sans l’avis de tous les autres. Ainsi règnera la concorde, et Dieu – le Père, le Fils et le Saint Esprit -, sera glorifié dans le Seigneur par le Saint Esprit. »  Ce canon ne signifie pas pour autant, qu’en temps de crise (qui est par définition le temps de l’histoire des hommes), le protos puisse bénéficier du soutien de tous à tout moment. Cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’Eglise. L’ensemble des 14 Eglises Orthodoxes doivent reconnaître ce point et admettre que dans la dynamique historique des conciles, en plus de la position du protos, la majorité qualifiée a souvent été reconnue comme un signe de l’action de l’Esprit permettant une large réception par toute l’Eglise des décisions adoptées. Le protos doit donc faire preuve d’audace pour appliquer cette règle de la vie ecclésiale. Or précisément le patriarche Bartholomée fait preuve aujourd’hui d’une grande audace.

Mais, on l’a dit, le rétablissement de sa volonté d’action, après des siècles de paralysie, se fait de façon trop brutale. C’est pourquoi son audace sera d’autant plus reconnue et récompensée qu’elle s’accompagnera de témoignages d’humilité et d’écoute. L’Eglise Orthodoxe dans son ensemble doit se repentir pour ses péchés de façon visible, comme l’Eglise catholique l’a fait elle-même en l’an 2000, et réaliser que sa réforme est vraiment nécessaire. Les évêques orthodoxes en particulier doivent apprendre des leçons du passé, autant de leur faiblesse à l’égard des autorités séculières que de leur gouvernance déséquilibrée, faisant alterner des périodes de management impérial avec de longues périodes de conciliabulisme. Les laïcs doivent également reconnaître que des siècles d’inaction ont aujourd’hui un coût.


La prière et l’ascèse, la vraie humilité auto-critique recommandée par saint Ephrem le Syrien, sont des conditions indispensables pour sortir de la crise actuelle. Mais il est nécessaire aussi aujourd’hui d’accomplir dans un esprit de paix, de façon personnelle et communautaire, un travail de réflexion créatrice. Le cœur de la nécessaire réforme de l’Eglise Orthodoxe va consister pour l’ensemble des chrétiens orthodoxes, à se débarasser autant des hérésies de la vie que des hérésies dogmatiques. Il est nécessaire de prendre conscience des tentations « monophysite » ou « phylétiste » dont son Eglise est la victime souvent consentante. Il convient aussi de se débarasser de l’hérésie suprême, à savoir la perte de l’espérance, qui se traduit par l’orgueil, la volonté de puissance, le cléricalisme, la non-écoute réciproque, la colère, le non-désir de se comprendre mutuellement et, en définitive, l’indifférence, la tristesse, le désamour. 

mardi 6 novembre 2018

If the Ecumenical Patriarch of Constantinople would open a pan-orthodox representation at Kiev?




CONFERENCE ADDRESSED TO THE CEC AT CYPRUS 
ON THE PROTECTION OF  THE RELIGIOUS PATRIMONY
(8-10, 11, 2017) 

The stalemate of the Russian-Ukrainian conflict:
If the Ecumenical Patriarch of Constantinople would open a pan-orthodox representation at Kiev?
                                             Antoine Arjakovsky

To begin with, I would like to extend my warmest thanks for their invitation and hospitality to the organizers, to the European Conferences of Churches and to the Orthodox Church of Cyprus who have prepared this consultative meeting centered on “The Places of Worship and of Religious Patrimony in Europe and the Near-East; Their Statute and Protection under National and International Law”.
I have been asked to shed a bit of light on the growing conflict within the Orthodox world concerning the places of worship in Ukraine, notably on the subject of the laws presently under discussion in the Rada which could accelerate the changes of jurisdictional membership of ecclesial communities.
Please allow me to be not content with presenting just the actual conflictive legislative situation during this talk, but also, since the ultimate goal of this consultation is to find roads of peace, to propose a solution to the conflict, a solution which is doubtlessly original but, nonetheless, very serious in my opinion, and that involves the opening of an office of the patriarchate of Constantinople at Kiev. I will argue my proposition in three steps before concluding with a fourth argument in favor of such a solution.
I am going to risk getting away from the traditional and repetitive speeches, pessimist or conventional, on the ecclesial anarchy which would be congenital in the Orthodox world and avoid formulating a guiding proposition to resolve the apparently inextricable Russian-Ukrainian conflict. For above and beyond the present inter-ecclesial conflict concerning the possession of places of worship, we find a real war which has already resulted in 10,000 deaths, hundreds of thousands wounded and more than a million and a half displaced persons just in Ukraine. Many observers believe that if there wasn’t a pluri-secular ecclesial conflict between Moscow and Constantinople, there would not be a juridical war about the places of worship nor even a military war between Russia and Ukraine.[1]
I am aware that my proposition will be criticized, that it will be quickly classified as utopian or even as dangerous but I also know that this is what has happened in the past to many original ideas which, all the same, were realized. So I ask your help by giving all your attention to this proposition of peace and may those who will criticize it propose better ideas that will really enable putting an end to the actual crisis of Orthodox ecclesial governance.

1)    The Russian-Ukrainian  conflict of ecclesial jurisdictions
The two laws being discussed at the Rada of Kiev since 2016 concern a new procedure of accreditation in Ukraine of religious leaders who depend on a Church situated in an antagonist country (n. 4511) and the modalities of the changing of jurisdictions for religious communities (n. 4128). The patriarchate of Moscow considers that these laws discriminate against the Ukrainian Orthodox Church which depends on its jurisdiction. It insists that the properties of religious communities depend on the decision of the archbishop and that the members of these religious communities cannot be the ones who decide the question of an eventual change of jurisdiction.
In May 2017, the Ukrainian authorities replied, backing up their explanation with statistics, that, first of all, they do not discriminate against any Church when these send the documentation of a request for their communities to be registered and when this documentation has been filled out in good and due form.[2] Secondly, they affirm that, according to the law in vigor in Ukraine, the Churches do not have juridical personality and this is why only religious communities (parishes, monasteries etc…) can make decisions and own property. Ukrainian law, in conformity with the European Court of Human Rights, has always defended this principle.
Law n. 4128, supported in particular by the Ukrainian government but also by such well-known orthodox personalities as the deacon of the Russian Church, Andrei Kurayev and the Ukrainian archimandrite Cyrille Hovorun, specifies that the members of a community are those who protect the parish from decisions that could be made by transitory tourists.[3] The Ukrainian authorities go on to explain that likewise, in accordance with law 4511 and with the consent of the OSCE (Organization of Security and Cooperation in Europe) and given the state of war with Russia, they want to have the means to be able to stop the activities of ecclesiastical leaders who could be found to have links with terrorist organizations. Moreover, the Ukrainian authorities reproach the Russian Duma for having adopted, in June 2016, new laws that went against liberty of conscience and which impeded the missionary work of the Churches without any protestation on the part of Patriarch Kirill.[4]
Taking into account not only the virulent reactions of the patriarchate of Moscow but also the reserves of representatives of the Roman Catholic Church who were afraid of losing a good part of their places of worship if the faithful had a voice equivalent to that of their hierarchical authorities and, finally, the risk of seeing the Ukrainian state enter into the decision-making process of the Churches (in fact, since the beginning of the Russian-Ukrainian war, the Patriarch of Moscow has not been authorized to enter the Ukraine) these laws have not been submitted to the vote of the deputies.
For his part, bishop Evstrati Zoria, the spokesperson of the Ukrainian Orthodox Church (patriarchate of Kiev) proposed some compromises.[5] He suggests, on the one hand, merging a third legal project which asks for a precise clarification defining the membership of parishes to their original jurisdiction with the project of law 4511. He requests that it be specified that the state should not name any ecclesiastical personality, but only dispose of the possibility of accepting or refusing the nomination of such and such a bishop (just as the Pope has the right to refuse such and such an ambassador). In addition, the patriarchate of Kiev is proposing to the other Churches that the request by parishioners to change jurisdiction be dependent on a certain threshold before becoming valid (for example two- thirds) and that the parishioners who are in the minority enjoy the possibility of celebrating elsewhere or in the same building as an alternative.
These two laws will probably be rewritten and submitted to the vote of the deputies during the months to come. On September 7 2017, President Porochenko notified the Rada that he would not sign law 4511 in its actual form. He already disposes, in fact, of all the legal means for preventing hybrid attempts, already identified, unfortunately, by several observers, of collusion between certain representatives of the patriarchate of Moscow and the Russian terrorist forces installed in Donetsk, notably the Orthodox Army of Donbas[6] which is led by a Russian, Mikhail Verin.[7]

2)    The persistent conflict between the Churches of Moscow and Constantinople and a possible solution
As everyone knows, however, the real conflict is being played out between the patriarchate of Moscow and the patriarchate of Constantinople, not only concerning the status and control of the Ukrainian Orthodox Church but, above all, concerning the control of the Orthodox Church as a whole. Everyone knows that the Church of Kiev considers the Moscow Church as its daughter on the historical level and not as its mother. The patriarchate of Moscow, on the other hand considers itself the unique heir of the Church of Kiev and has tried to impose its domination over Ukrainian Orthodoxy ever since the latter chose to recognize the Council of Florence in 1439.
A lot has been written about the fact that if the Church of Moscow loses its jurisdiction over Ukraine, not only would it lose a great number of its parishes and ecclesiastical structures but, above all, this would mean the end of its grandiose project of becoming the “Third Rome”, the beacon not only for Orthodoxy but for the whole Church of Christ. Conscious of the decisive importance of this religious factor in the Russian-Ukrainian project, President Petro Porochenko, himself an Orthodox, in September 2017, pronounced himself in favor of a recognition of the autocephaly of the Ukrainian Orthodox Church by Constantinople.[8]
In the month of September 2017, the Ukrainian deputy Victor Yelensky pointed out that the Patriarch of Constantinople had not replied to the June 2016 request of the Rada nor to that of President Porochenko to recognize the autocephaly of the Orthodox Church of Kiev for fear that the Church of Moscow would lose the essential part of its communities and react by severing all ties with Constantinople.[9]
In order to get out of the conflict and, above all, to avoid provoking other wars, it would be useful to study a project of opening by the Ecumenical Patriarcate a Pan-Orthodox office in Kiev. This would not only facilitate a reconciliation among Christians in Ukraine but would also be more perfectly faithful to its mission of Pan-Orthodox supervision which it inherited after the rupture between the Eastern Christian world and the Western Christian world after the fall of Constantinople in 1453. It could then offer to the more than thousand year old local Ukrainian Church an autocephalic organization, capable of electing its own primate while positioning itself in a privileged space for presiding over and administering to the communion of Orthodox Churches. And finally, it would put into practice, on the territory of the mother Churches, the principle of inter-jurisdictional episcopal assemblies which already function in the countries of what is known as the “diaspora”, ie three-quarters of the planet, and which was formally adopted at the Council of Kolymbari in June of 2016.
Originally the concept of the episcopal see was not static. It moved around in function of the historical circumstances. It would be useful to recover its original dynamic connotation. Its meaning is not to give a satisfied repose out of history but to receive the divine wisdom.
The famous French constitutionalist Maurice Hauriou wrote that “law is a sort of pipe that tries to realize order and justice”. This is the reason why an institution like the patriarchate of Constantinople, whose mission since the rejection of the Council of Florence is to permit communion among those who confess the Orthodox Faith, should question itself above juridical normativism and in the very name of the common good.

3)    The arguments in favor of a panorthodox representation of the See of Constantinople at Kiev
De jure, the Rus’ of Kiev, after the baptism of Vladimir the Prince of Kiev in 988, found itself in the ecclesial jurisdiction of the patriarchate of Constantinople. The Patriarch of Constantinople sent bishops there until the 15th century and his authority was recognized by the Metropolitan of Kiev, Petro Mohyla until the 17th century. Constantinople never recognized the annexation of the metropolis of Kiev in 1686 by the synod of the Russian Church after the invasion of the lands situated on the right bank of the Dnieper River by the Russian Empire.  Moreover, as of 1721, the Church of Moscow, whose status of autocephaly had been snatched from Constantinople in 1588, lost its status as a patriarchate by a decree of Peter the Great. This was brought up again at Kiev in August 2016 by bishop Job of Telmessos, the envoy of Patriarch Bartholomeus to Ukraine. Let us also add that the Ukrainian Orthodox Church of the immigrants to the United States and Canada was spontaneously placed under the jurisdiction of Constantinople when this became possible after the fall of the Berlin Wall.
By opening a panorthodox representation at Kiev, the Patriarch of Constantinople could obtain, in return, that all the Orthodox bishops be placed under the authority of an assembly of bishops (something Moscow had been incapable of creating after the schism of 1991 between the Ukrainian Orthodox Churches of the patriarchate of Kiev and those of the patriarchate of Moscow). Those who would refuse should then place themselves under the direct jurisdiction of Moscow but they would henceforth be obliged to satisfy the conditions of control imposed by the Ukrainian state on Churches situated in antagonistic countries. The head of this Church would dispose of autonomy in a first instance and then, on the occasion of a new patriarchal election open to the ensemble of the jurisdictions present in Ukraine, would accede to autocephaly. 
In doing this, the Turkish Patriarch would be roundly criticized by the Russian Patriarch. This act could lead, as it did in 1996 after the re-establishment of the Estonian Orthodox Church, directed by a Greek Metropolitan, to a rupture of communion between the two Sees of Moscow and Constantinople. But, on the one hand, Patriarch Kirill did not recognize the authority of Patriarch Bartholomeus when he refused to attend the Pan-Orthodox Council of June 2016 in Crete, a move which already places him in a situation of schism, at least on the level of ecclesial governance. On the other hand, Patriarch Kirill, for his part, has not hesitated to create para-ecclesial structures in the Near East and in Turkey itself on canonical territory directly under the Patriarch of Constantinople. Sergei Stepachin, the Russian general of the FSB (Federal Security Service) simply informed the Patriarch of Constantinople, in 2017, of the creation of an antenna of the Imperial Orthodox Society of Palestine in Turkey.[10] This latter works to recuperate or redeem places of worship on canonical territory of the Byzantine patriarchate. In France, we also know that the Orthodox cathedral of Nice, which was under the jurisdiction of the patriarchate of Constantinople, was taken away from it through the courts by the Russian state with the support of the patriarchate of Moscow. The Patriarch of Constantinople does not have much to lose since his authority is already constantly and publically questioned by the Patriarch of Moscow.[11]
On the other hand, the advantage that the ecumenical patriarchate would gain from such a gesture is triple. For one thing, it would regulate 90% of the problem of the division of Orthodoxy within the second largest Orthodox nation in the world. It is well-known that ¾ of the 25 million Ukrainian Orthodox Christians are presently under the jurisdiction of the patriarchate of Kiev.[12] Moreover, it is estimated that the remaining quarter part of the faithful (patriarchate of Moscow and the autocephalous Church) more than 75% would join this new assembly of bishops as is testified already by the transfer of parishes from the patriarchate of Moscow to the patriarchate of Kiev since 2014.
Secondly, that would enable the assembly of bishops to find protection from a state that would accept it (on the executive level as well as on the legislative), which would be ready to give it financial assistance and, above all, more breathing room than the Turkish government allows. Indeed, this government blocks all missionary activity to the point of refusing to return to the patriarchate its school of theology on the island of Halki. It can be added, in addition, that the Orthodox live with the myth that the ecclesial See of Constantinople did not fall in 1453 but only the imperial city, and this in spite of the painful evidence of the closing of the Cathedral of Saint Sophia, the end of the Church’s political privileges and the progressive shrinking of its ecclesial role in the Phanar. This refusal of reality is, above all, a sign of the incapability of Orthodox Christians to accept the role of history and human freedom in the mystery of the divine-humanity.
By having a contact with the Ukrainian Church the patriarch would also be able to advance his project of reformation within Orthodoxy. Let us imagine that the Churches of the Greek tradition have not always attained the level of consciousness of the 1917 Council of the Russian Church since they did not always recognize the decisions and orientations of this Council (elections of the bishops, ecumenical involvement, the translation of liturgical texts, the social commitment of the laity, etc.). This leads to the ridiculous situation where the bishops elected according to the rulings of the Council of Moscow and who are under the jurisdiction of Constantinople (the Russian parishes of the exarchate of France in Western Europe and also within the Orthodox Church in America in the United States) are not recognized by….the patriarchate of Constantinople.

Conclusion  
Prophetic gestures are often productive over the long term. In the West, it was after they went to Avignon that the Roman popes really became powerful. Olivier Clement imagined an itinerant See for the Patriarch of Constantinople which would begin with the island of Patmos. Patriarch Athenagoras, when he presided at the opening of the Center of Chambesy, had, for a while, the same vision of organizing its federative mission of preparation for the Pan-Orthodox Council and of ecumenical witness before international institutions (United Nations, World Council of Churches) using Switzerland as its base. But the historical advantage of the Ukrainian Church over Greece and Switzerland is that this Church is its direct daughter, the living fruit of its missionary activity and a place of future reconciliation with the Church of Moscow.
Paradoxically, by leaving Istanbul and accepting to immerse itself into history, by facilitating the reopening of the worship in the Cathedral of Hagia Sophia of Kiev (with, very certainly, the support of the Greek Catholic Ukrainian Church which has never ceased to affirm its belonging to the Byzantine tradition), the patriarchate of Istanbul, which had not been able to prevent the closing of Hagia Sophia of Constantinople by the sultans, would really be able to actualize its role of primate of the whole Orthodox world…By recovering its liberty of action, it could also advance more firmly in its relationships of fraternity with the Protestant Churches and the Catholic Church.
Finally, by putting into place a post-ethnic governance of the Church as was proposed by the Fathers of the Council of Kolymbari, it would make possible not only to progressively put an end to the political-ethnic-religious conflict between Russia and  Ukraine, but also to the disputes which tear apart other local Churches. After all, the geo-political dream of Orthodoxy can no longer be the Empire of Constantinople nor the eternal status of dhimmi (the status of non-Moslems in a Moslem state) nor even less a post-modern or neo-Russian version of Byzantine symphony – that unfortunate invention of Eusebius.
The geo-political vision of the Orthodox Church can only be that of an encounter with the Divine Wisdom, which is nothing other than the vision of Saint John the Evangelist in his Book of Revelation.



[1] A. Arjakovsky, Russia-Ukraine : From War to Peace ?, 2015: http://data.tsn.ua/files/Livre_en_anglais-libre.pdf
A. Arjakovsky, Russie-Ukraine : de la guerre à la paix?  Paris, Parole et Silence, 2017;  see also : A. Arjakovsky,  Russie-Occident; comment sortir du conflit? Paris, Balland, 2017.
[12] In 2016 as a whole, 38.4% of the Ukrainians declared themselves members of the Orthodox patriarchate of Kiev whereas 17.4% declared that they belonged to the patriarchate of Moscow. But due to the fact of the so9viet history of the Ukraine, there are twice as many parishes registered as belonging to the patriarchate of Moscow (about 10,000) than to the patriarchate of Kiev. https://risu.org.ua/ua/ondex/expert_thought/open_theme/67281/